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La fondation légendaire de Rome

Une légende épique, racontant la fondation de la ville éternelle il y a près de trois millénaires, a donné naissance à l’une des civilisations les plus influentes de l’Histoire : Rome.
Mêlant héros troyens, divinités protectrices et rivalités fratricides, ce mythe raconte l’odyssée d’Énée, fuyant les flammes de Troie, et l’ascension des jumeaux Romulus et Rémus, sauvés par une louve devenue l’emblème de la cité des romains. 
Ce récit, transmis par les poètes et historiens de l’Antiquité, ne se contente pas de narrer des exploits, il incarne aussi les valeurs de résilience, d’unité et de destinée qui ont forgé l’identité romaine. 

Le périple d’Énée

Énée fuyant Troie, Federico Barocci

Énée fuyant Troie, Federico Barocci (1598)

Après la destruction de Troie, des rescapés prirent la mer à la recherche d’une nouvelle terre. Parmi ces réfugiés, Énée était le fils de la déesse Vénus et du Troyen Anchise. Son fils Ascagne l’accompagnait, fruit de son union avec Créuse, la fille de Priam, l’ancien roi de Troie. Après de nombreuses haltes en Méditerranée, dont une à Carthage, Énée et ses compagnons remontèrent le Tibre, sur la péninsule italique, jusqu’au lieu où était venu se cacher Saturne, le père de Jupiter.

Le roi Latinus, descendant de Saturne, accueillit alors Énée et lui offrit la main de sa fille Lavinia. Cependant, cette dernière était promise à Turnus, qui déclara alors la guerre à Latinus. Le camp d’Énée fut vainqueur, et celui-ci succéda au roi Latinus, mort dans la bataille. Il fonda la cité de Lavinium pour honorer son épouse, et son peuple fut alors désigné comme les Latins.

NOTE : Cette épopée, relatée par Virgile dans l’Énéide, a servi à légitimer l’origine divine des Romains, en les rattachant à Troie et à Vénus.

Rémus et Romulus

Si Énée posa les bases du peuple latin, c’est par ses descendants que l’histoire de Rome prit véritablement forme. Son fils Ascagne, héritier de cette destinée, ouvrit la voie à une nouvelle dynastie menant aux figures légendaires de Romulus et Rémus.

Mars et Rhéa Silvia, Pier Paul Rubens

Mars et Rhéa Silvia, Pier Paul Rubens (1617)

À la mort d’Énée, son fils Ascagne, qui n’aimait pas la ville de Lavinium, s’exila et fonda sa propre cité, Albe la Longue. Cette ville devint rapidement la plus puissante de la région, et la dynastie d’Ascagne régna pendant dix générations, jusqu’à celle de Procas, dont les héritiers Numitor et Amulius se disputèrent la succession. Au premier fut légué le trône, et au second la fortune. Mais Amulius, insatisfait, revendiqua le trône, chassa Numitor, prit sa place, et tua même le fils de ce dernier, son neveu Lausus, pour l’empêcher de réclamer le trône. Il fit de Rhéa Silvia, la fille de Numitor, une prêtresse de Vesta, la condamnant au vœu de chasteté à vie.

Mais Rhéa Silvia eut la visite du dieu Mars, qui s’unit à elle (sans son consentement explicite). Elle tomba enceinte et engendra deux fils jumeaux, Rémus et Romulus. Afin de conserver son pouvoir usurpé, Amulius ordonna de placer les deux bébés dans un panier et de le jeter dans le Tibre.

La louve recueillant Romulus et Rémus sur les bords du Tibre, des frères Carracci (XVIe siècle)

La louve recueillant Romulus et Rémus sur les bords du Tibre, des frères Carracci (XVIe siècle)

Le fleuve porta miraculeusement le panier, qui échoua sous un figuier au pied du Palatin, avec les enfants sains et saufs, dans la vallée où se trouve aujourd’hui l’église de Sant’Anastasia. Une louve les recueillit et les sauva d’une mort certaine, les protégeant dans une grotte et les nourrissant de son propre lait.

Remus et Romulus recueillis par Faustulus

Le pasteur Faustulus assista à la scène où la louve descendit de la colline, attirée par les pleurs des jumeaux, et alors qu’il s’attendait à ce qu’elle les attaque, elle les nettoya de la boue de la rivière. Faustulus, incrédule, appela les autres bergers et éloigna la louve, qui s’en alla dans le bois voisin du Palatin, sacré au dieu Faunus, où elle se réfugia dans la grotte appelée plus tard Lupercale, proche d’une source. (NOTE : Cette grotte devint un lieu sacré dans la Rome antique, associé à la fête des Lupercales, où les jeunes hommes honoraient Faunus et la fertilité.)

Remus et Romulus recueillis par Faustulis

Faustulus recueillant les jumeaux

Sachant le danger qui pesait sur les jumeaux si Amulius apprenait qu’ils étaient vivants, Faustulus les ramena chez lui, où il les confia à sa femme Acca Larentia pour les élever. Une fois adultes, les jumeaux apprirent la vérité sur leur naissance, tuèrent alors Amulius et rétablirent Numitor sur le trône.

De la vengeance à la fondation

Débarrassés de l’usurpateur, Rémus et Romulus aspirèrent à laisser leur propre marque dans l’Histoire. Leur ambition les ramena au lieu de leur salut, le mont Palatin, où ils décidèrent de fonder une nouvelle cité.

Les deux frères voulurent à leur tour fonder leur propre cité, et c’est au pied du mont Palatin, là où ils furent sauvés par la louve, qu’ils décidèrent de la bâtir. Pour désigner le roi, ils s’en remirent aux dieux, et c’est par le présage discerné dans le vol d’un oiseau que fut choisi Romulus. Celui-ci traça alors le sillon de l’enceinte sacrée à l’intérieur de laquelle la ville devait se développer. Mais lors d’une dispute, Rémus défia son frère en franchissant le sillon, un sacrilège dont Romulus le punit en le tuant. Romulus devint alors le premier roi de Rome, fondée, selon la tradition, en 753 av. J.-C. (NOTE : Cette date, rapportée par Tite-Live dans Ab Urbe Condita, est devenue la référence officielle pour la fondation de Rome.)

La légende de Romulus et Rémus a inspiré de nombreuses œuvres, comme les bas-reliefs romains ou les récits médiévaux, qui glorifient le courage et la détermination du premier roi.

Interprétations

Selon certains historiens, le mythe de la louve et des jumeaux Romulus et Rémus aurait été conçu pour symboliser l’union des peuples sabins et latins. Une version raconte en effet que, vers 504 av. J.-C., un chef sabin nommé Attus Clausus s’installa sur le territoire romain avec plus de 4 000 personnes, devenant le fondateur de la gens Claudia. Ce récit reflète l’intégration des Sabins dans la société romaine, un processus clé dans la formation de la ville.

Pour d’autres, les jumeaux symboliseraient l’institution à Rome des deux consuls, établie après la fin de la monarchie en 509 av. J.-C., représentant l’équilibre des pouvoirs. Une autre interprétation voit dans Rémus et Romulus une métaphore de l’égalité entre patriciens et plébéiens, acquise progressivement, notamment après les réformes de 296 av. J.-C., qui ont renforcé les droits des plébéiens. (NOTE: L’historien moderne Jacques Heurgon, dans Rome et la Méditerranée occidentale, souligne que le mythe a servi à justifier l’unité politique et sociale de Rome face à ses voisins.)

Ces interprétations montrent comment les Romains utilisaient leurs mythes pour expliquer leur histoire et légitimer leur organisation sociale. Par exemple, l’empereur Auguste, au 1er siècle av. J.-C., a promu le mythe d’Énée pour relier son règne à une ascendance divine, renforçant son autorité à travers des statues et des récits épiques.
Le mythe de la fondation a ainsi joué un rôle central dans la construction de l’identité romaine, enracinant la ville dans une destinée divine et un passé glorieux.

La louve dans la Rome antique

La louve était un animal sacré attribué au dieu Mars, le père des fondateurs de Rome, Rémus et Romulus. Le terme lupa (louve) en latin signifie aussi prostituée, d’où le sens du lupanar dans la Rome antique. (NOTE : Cette ambiguïté linguistique a conduit certains auteurs, comme Plutarque dans sa Vie de Romulus, à suggérer qu’Acca Larentia, la femme de Faustulus, pourrait avoir été une prostituée, renforçant le lien entre le mythe et les réalités sociales de l’époque.) 
La louve est également célébrée dans l’art romain, notamment à travers la célèbre statue de la Louve capitoline, qui incarne la protection et la force de Rome.

Héritage et résonance du mythe

Le mythe de la fondation de Rome, des errances d’Énée aux exploits de Romulus et Rémus, est bien plus qu’une simple légende : il est le miroir des valeurs de résilience, d’unité et de destinée qui ont forgé l’identité romaine, servant de socle aux empereurs pour asseoir leur légitimité et aux poètes, comme Virgile, Tite-Live et Plutarque, pour glorifier la grandeur de la ville.
La louve, protectrice des jumeaux, incarne la force d’un peuple né dans l’adversité, un symbole universel visible aujourd’hui sur les armoiries de Rome et dans les musées à travers la Louve capitoline.
Au Moyen Âge, des chroniqueurs chrétiens ont réinterprété ce récit pour faire de Rome une nouvelle Jérusalem, intégrant le mythe dans une vision providentialiste.
Son influence perdure dans des œuvres modernes, comme le film Romulus et Rémus (1961) ou des romans historiques, qui captivent par leur mélange de tragédie et d’héroïsme, rappelant que Rome, la Ville Éternelle, est autant une idée qu’un lieu.
Ce mythe continue de fasciner, invitant à réfléchir sur les origines, la lutte pour le pouvoir, et la capacité d’une communauté à se réinventer à travers ses récits fondateurs.

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