C’est dans le Rione Sant’Angelo, le plus petit des quartiers historiques de Rome et qui occupe une partie de l’antique Regio IX d’Auguste, que se situe l’historique ghetto juif à Rome, ayant été clôt
par les papes pendant plus de 300 ans de 1555 à 1870, sauf sous l’occupation napoléonienne de 1808 à 1815 et lors des Républiques romaines de 1798 à 1799 et de 1849.

Les juifs à Rome

Le population juive est présente à Rome depuis les dernières décennies de la période républicaine antique, augmentant sous l’empire et disposant de leur plus grande liberté à l’époque de Poppée, épouse juive de Néron. Ils étaient installés d’abord vers l’Aventin, puis surtout dans le Trastevere où ils furent majoritaires parmi la population.

Formation du ghetto

ghetto, via della fiumara, Ettore Roesler Franz

La via della Fiumara inondée (Ettore Roesler Franz, vers 1885)

Après le premier ghetto créé en 1516 à Venise dans le quartier Cannaregio, le ghetto de Rome fut établi par une bulle de Paul IV Carafa émise le 12 juillet 1555. Il révoqua les droits accordés aux juifs de Rome, comptant près de 2000 personnes, les enfermant dans un quartier muré, dans une des zones les moins vivables de Rome et qui était la plus peuplée de juifs. La construction des murs fut à la charge des juifs, et ils furent d’abord dotés de deux portes, initialement fermées du coucher du soleil à l’aube.
Quand ils sortaient, les hommes juifs devaient porter une marque jaune sur un chapeau (le sciamanno) et les femmes un voile jaune.
La propriété fut interdite aux juifs et les maisons restèrent propriété de chrétiens.
Il leur fallait un permis spécial pour sortir et exercer les quelques métiers autorisés, comme le vente de chiffons. Certains se tournèrent vers le prêt à intérêt, interdit aux chrétiens.

En 1572, le pape Grégoire XIII Hugues Boncompagni, imposa aux Juifs romains l’obligation d’assister chaque semaine le jour du sabbat, à des sermons destinés à les convertir au catholicisme.
Ils se tenaient devant Sant’Angelo in Pescheria, San Gregorio al Ponte Quattro Capi (aujourd’hui San Gregorio della Divina Pietà) et devant le Tempietto del Carmelo. Cette obligation ne fut levée qu’en 1848 par Pie IX. Ils se sont révélés peu efficaces, et selon une ancienne tradition, les Juifs y assistaient en se bouchant les oreilles avec de la cire.

piazza-giudea-vasi-1752

Piazza Giudea (Vasi, 1752) où l’on voit à droite une entrée du ghetto

Dans la « ménagerie des juifs » – comme était désigné le quartier à l’époque, avant d’être appelé – les conditions de vie étaient inhumaines, et sous Sixte V vers 1580 y vivaient près de 3500 personnes. Ce dernier leva certaines restrictions en 1586 et agrandit la zone, avec d’autres portes, révoquant aussi certaines restrictions. Les portes étaient alors au nombre de cinq, nommées « Catene » (chaines en français) : Rua, Regola, Pescheria, Quattro Capi et Ponte. Les entrées étaient fermées d’une heure après le coucher du soleil (deux heures de Pâques à Novembre) à l’aube, alors qu’à l’ouverture.

Une taxe annuelle devait être payée pour garder le privilège d’habiter à Rome, avec une autorisation reconduite chaque année, quand le rabbin se rendait au capitole pour recevoir un coup de pied aux fesses de la part du chef de la commune, geste qui entérinait la reconduction du permis.

Au XIXe siècle, le pape Léon XII fit de nouveau agrandir le ghetto, entre la Via della Reginella et la Via di Sant’Ambrogio jusqu’à la Piazza Mattei, avec trois portes supplémentaires.

Vie dans le ghetto et des juifs à Rome

Une seule synagogue était autorisée, et devait accueillir à la fois les cinq congrégations différentes, dites « scholae » : la Scola Tempio et la Scola Nova destinées aux Romains, et les Scole Catalane, Castillane et Sicilienne.
Les conditions d’hygiène à l’intérieur du ghetto étaient très mauvaises, la pauvreté écrasante, et les épidémies fréquentes compte-tenu de la surpopulation et de l’insalubrité, souvent aggravée par les crues du Tibre. Ainsi lors de la peste de 1656, 800 des 4 000 habitants périrent.
La population fut même alimentée par les juifs expulsés du Royaume de Naples ou d’autres villes, venus se réfugier ici. En effet, dans les États Pontificaux, c’était avec Ancône la seule ville où les juifs étaient admis.
Les crues et la densité de population sans cesse en augmentation entraînèrent des constructions toujours plus hautes, rendant le bas des édifices toujours plus sombre. Des ponts aériens permettaient de passer d’un bloc d’habitation à l’autre. A l’intérieur, les familles les plus riches habitaient les maisons les plus éloignées du fleuve, car le fleuve débordait fréquemment, sans parler des crues exceptionnelles.

Les juifs étaient à Rome contraints de participer à des compétitions humiliantes lors des fêtes chrétiennes, comme pendant les carnavals, où ils devaient par exemple courir nus avec une corde au cou, ou bien avec les jambes dans un sac.
Les ponts et les portes entre maisons permettaient de fuir lors des prévarications, tel que la chasse aux juifs pour préparer le carnaval.

Abolition au XIXe et XXe siècle

Après l’entrée à Rome des troupes françaises le 10 février 1798 menée par le général Berthier, la Première République romaine fut proclamée le 15 février. Le 17 sur la piazza delle Cinque Scole fut érigé un « arbre de la liberté », le 20 le pape Pie VI fut contraint de quitter Rome et le 21 fut proclamé l’égalité des droits des Juifs et leur pleine citoyenneté.
Avec le retour de Pie VII en 1814, les juifs furent à nouveau enfermés dans le ghetto, qui fut de nouveau agrandi en 1825.

Avec la proclamation de la République romaine en 1848, Pie IX fit abattre les murs du ghetto, mais les juifs furent contraints d’intégrer de nouveau le ghetto par le même pape en 1850 après la chute de la république.
Le ghetto ne fut véritablement aboli qu’en 1870 avec la prise de Rome aux papes, annexée alors au Royaume d’Italie, les juifs devenant citoyens comme tout autre romain. D’ailleurs le 20 septembre 1870 c’est un officier juif piémontais, Giacomo Segre, qui fut chargé de commander la batterie de canons pour ouvrir une brèche dans les murs de Rome à Porta Pia.

A cette période fut aussi canalisé le Tibre et ouvert le lungotevere. A partir de 1888, beaucoup d’anciennes ruelles et de maisons du ghetto, insalubres, furent démolies avec la création de nouvelles rues, dont la via del Portico d’Ottavia, la via Catalana et la via del Tempio. Disparu à cette occasion l’emblématique Piazza Giudea.

Après un concours en 1889, la nouvelle synagogue fut construite à partir de 1901 à l’emplacement de l’ancien temple, inaugurée le 29 juillet 1904, avec un musée aménagé récemment au sous-sol.
Le ghetto de Rome fut le dernier d’Europe de l’ouest encore actif, jusqu’à ce que l’Allemagne nazie en rétablit dans les années 1930.

Nazisme

Le samedi 16 octobre 1943, les nazis effectuèrent une rafle à Rome, particulièrement dans l’ancien ghetto, où 1259 juifs furent capturés. 1023 furent chargés dans des wagons à bestiaux à la gare Tiburtina. Le 18 octobre le convoi partit pour arriver au camp d’extermination d’Auschwitz le 22 octobre. Il n’y eu que 17 survivants parmi les déportés, dont une femme, mais aucun enfant.

Le Ghetto aujourd’hui et son héritage

On retrouve quelques traces de l’ancien ghetto dans la zone désignée aujourd’hui comme le ghetto contemporain, avec des réminiscences de l’époque où les juifs y furent enfermés, quelques ruelles, mais surtout le dialecte, la cuisine, et la présence encore vive de la population juive.

Le ghetto désigne aujourd’hui une zone plus large que sa définition historique matérialisée par son enceinte, entre la via Arenula à l’ouest, puis vers l’est la via dei Falegnami, via dei Funari, et vers le sud la via della Tribuna di Campitelli et la via del Portico d’Ottavia, fermant le trapèze en longeant le Tibre avec le Lungotevere de’ Cenci.
Il est resté peu d’édifices remarquables de ce ghetto historique, les églises qui s’y trouvaient ayant été désacralisées et démolies. En outre les maisons étaient souvent hautes, séparées de rues étroites et mal entretenues compte-tenu de la densité de la population contrainte d’y résider et furent détruites pour beaucoup à la fin du XIXe siècle. Cette zone historique s’étendait au XVIIIe entre les via del Portico d’Ottavia, piazza delle Cinque Scole et le Tibre. Des maisons bordaient le Tibre, souvent inondées.
Il subsiste un morceau du mur du ghetto dans une des cours de la Piazza delle Cinque Scole.
Avec les 300 ans d’isolement, du reste de la ville, les juifs du ghetto de Rome ont développé leur propre dialecte, ayant notamment conservé des formes dialectiques du XVIe siècle.
Plusieurs spécialités culinaires sont hérités de l’histoire, dont les pâtisseries (comme la Piazza Ebraica), les artichauts à la juive (frits dans l’huile) mais surtout la soupe de poisson, en raison de la présence historique de la pescheria, le marché aux poissons, proche aussi du port de Ripa Grande. En effet, les déchets étaient entassés près de l’église Sant’Angelo in Pescheria, et les femmes juives, très pauvres à l’époque, ramassaient restes, têtes et arêtes, pour cuisiner cette soupe, devenue l’un des plats les plus appréciés du quartier et de Rome.

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